Par Said Naoui , docteur en droit , Avocat au barreau de Casablanca

Le 23 mars 2020, le pouvoir législatif a autorisé le gouvernement à prendre, par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de la pandémie de coronavirus et aux effets des mesures prises pour limiter cette propagation (décret-loi loi n° 2020-20-2 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19). Ce décret-loi habilite les autorités publiques compétentes à prendre les mesures nécessaires pour interdire aux personnes de quitter leurs domiciles, interdire tout déplacement en dehors du lieu de résidence, sauf en cas de nécessité absolue, interdire tout rassemblement, attroupement ou réunion d’un groupe de personnes et à fermer les commerces et autres établissements accueillant le public durant la période de l’état d’urgence sanitaire.

Suite à cette situation, plusieurs entreprises optent pour le télétravail pour maintenir leurs activités productives. C’est une nouvelle forme d’exécution du contrat de travail, qui a un régime juridique spécifique, des avantages et des inconvénients.

A- Le régime juridique du télétravail

Le télétravail désigne l’exercice, à distance, d’une activité professionnelle au moyen des technologies de l’information et de la communication. Cette nouvelle forme d’organisation du travail est apparue suite au progrès technologiques qui a permis en quelque sorte de vaincre la distance. Sachant que, le législateur marocain n’a pas encore codifié le télétravail, mais aucune disposition législative ne l’interdit.  Toutefois, l’employeur et le salarié peuvent se mette d’accord sur les modalités d’exécution du contrat de travail. Certes, les emplois ne sont pas tous télétravaillable, mais il reste efficace pour certains. Toutefois, le télétravail n’est donc ni un droit ni une obligation, mais un choix mutuel.

En revanche, le législateur français définie le télétravail dans l’article L. 1222-9 du code du travail français, qui « désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci ».

Ainsi, le télétravailleur est toute personne salariée de l’entreprise qui effectue, soit dès l’embauche, soit ultérieurement, du télétravail tel que défini ci-dessus. En effet, le télétravailleur devra utiliser les technologies de l’information et de la communication pour faire du télétravail. Il s’effectue soit, à la maison soit, dans un tiers-lieu par un salarié qui accepte cette forme d’exécution du contrat de travail.

Mais, est-ce qu’on peut qualifier le travail à domicile en tant que télétravail ?  En effet, l’article 8 du code de travail, dispose que « …sont considérés comme salariés travaillant à domicile, ceux qui satisfont aux conditions suivantes et ce, sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il existe ou s’il n’existe pas entre eux et leur employeur un lien de subordination juridique, s’ils travaillent ou ne travaillent pas sous la surveillance immédiate et habituelle de leur employeur, si le local où ils travaillent et l’outillage qu’ils emploient leur appartiennent ou non, s’ils fournissent, en même temps que le travail, tout ou partie des matières premières qu’ils emploient lorsque ces matières leur sont vendues par un donneur d’ouvrage qui acquiert ensuite l’objet fabriqué ou leur sont livrées par un fournisseur indiqué par le donneur d’ouvrage auprès duquel les salariés sont tenus de s’approvisionner ou s’ils se procurent eux-mêmes ou non les fournitures accessoires : 1° être chargés soit directement, soit par un intermédiaire d’exécuter un travail, moyennant une rémunération, pour le compte d’une ou plusieurs des entreprises ; 2° travailler soit seuls, soit avec un seul assistant ou avec leurs conjoints ou leurs enfants non-salariés ».

Le travail à domicile est une organisation ancienne. Il se décline dans une série d’activités salariées ou indépendantes, réalisées pour partie ou en totalité dans l’espace domestique. Le télétravail à domicile, basé sur l’utilisation de l’informatique et des technologies de l’information et de la communication, en représente un aspect moderne.  Le travail à domicile et le télétravail sont des formes de travail à distance qui peuvent se superposer mais ne se confondent pas dans la mesure où le travailleur à domicile bénéficie d’un statut légal dérogatoire lui permettant de profiter de l’ensemble des dispositions du code du travail alors qu’il n’est pas forcément tenu par un lien de subordination, tandis que le télétravailleur est un salarié comme un autre dont l’exécution de la prestation de travail s’organise de manière particulière, induisant l’application de règles conventionnelles et contractuelles spécifiques.

Le télétravail est, avant tout, un contrat de confiance entre l’employeur et le salarié, aussi entre l’équipier et le reste de l’équipe. Ainsi, il faut que l’employeur mette à la disposition du salarié les moyens techniques appropriés au télétravail et d’établir un contrat pour définir les obligations qui pèsent sur chacun d’eux. Cependant, lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié. (C.cass., ch. Soc., n° 1427, D. 2006. 1634,31 Mai 2006).

Encore, l’employeur peut mettre en place des rendez-vous réguliers. Le point quotidien, en visio-conférence avec le ou les collaborateurs à distance. Il peut aussi proposer une journée minimum chaque mois pour les collaborateurs distants, afin de conserver le lien avec le reste de l’équipe.

Le télétravail peut être exercé sous plusieurs formes. Certes, et conformément à l’image traditionnelle qu’il renvoie, il peut s’envisager à domicile. Mais il peut s’exercer également au sein d’un espace collectif situé en dehors de l’entreprise. Si le domicile est le choix de prédilection des télétravailleurs, ces derniers envisagent également les bureaux mis à disposition par les entreprises, ou encore les tiers lieux comme les espaces de coworking ou les cafés. Dans tous les cas, le travail aurait pu être exécuté dans les locaux de l’entreprise. Aussi, sont exclus du télétravail, les salariés dont la nature du travail ne permet qu’un exercice « sur le terrain » et qui ne pourraient pas effectuer leurs tâches de manière sédentaire dans l’entreprise.

L’article L. 1222-10 du code du travail français précise qu’« outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail : 1o De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ; 2o D’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ; 3o De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ; 4o D’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ; 5o De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter ».L’article L. 1222-11 dispose du code du travail françaisqu’« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

B- La responsabilité pénale de l’employeur au période de confinement

L’employeur qui insiste de retenir ses salariés aux locaux du travail, peut engager sa responsabilité pénale si l’un de ses salariés ou plus sont contaminés du coronavirus. En effet, c’est une obligation, qui pèse sur l’employeur de veiller sur la salubrité et la propreté des locaux du travail, permettant ainsi la sauvegarde de la santé de l’ensemble des salariés. L’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires, pour préserver la santé physique de ses salariés et interdire le salarié contaminé de rejoindre le lieu du travail.

Sachant que l’exposition des salariés au risque de contamination est passible d’engager la responsabilité de l’entreprise. Ainsi, le télétravail reste le moyen le plus efficace dans cette période de confinement, il peut exonérer les entreprises et leurs dirigeants de voir leur responsabilité pénale engagée par certains salariés maintenus en poste pendant cette période de crise sanitaire.

C- Les avantages et les inconvénients du télétravail

Le télétravail apporte à l’employeur et à l’employé plusieurs avantages. Il permet au salarié de télétravailler de chez soi ou d’un tiers-lieu, ainsi l’employeur pourra assurer la supervision de son travail tout en réduisant certaines charges importantes. Aussi, une solution à l’aménagement de l’espace de travail, une solution à la gestion du personnel, etc.

Ainsi, ce sont avant tout les temps de trajet qui conduisent les salariés à demander à télétravailler. En contrepartie l’entreprise bénéficie, de moins d’absentéisme visible, y compris en cas de grève des transports, et d’une baisse des accidents de trajet ; et pour ceux qui habitent loin, moins de stress et plus de temps consacré au travail. Et durant cette période de confinement moins de risque de contamination.

Le télétravail améliore les relations familiales et facilite la vie pour certains travailleurs handicapés ou les femmes enceintes craignant les transports en commun, mais il permet aussi une réduction des déplacements qui détériorent l’environnement.

Cependant, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Ainsi, ce changement d’organisation ne devrait pas entraîner de différence de traitement avec les autres salariés de l’entreprise.

La Cour de cassation française, précise que : « L’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail. Si le salarié, qui n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l’indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile ». (Soc.,8 juill. 2010, n° 08-45.287, Nestlé Waters Marketing).

Certes ne s’agissant pas d’une intrusion physique, le juge avait refusé d’y voir une « violation du domicile » ou de « l’intégrité du foyer » protégés par la loi. Mais il avait censuré le texte « car imposer le travail au domicile menace la sphère d’intimité du salarié », qui ne peut être objet de négociations : « Si la loi en vigueur permet à l’employeur d’élargir son pouvoir de direction en cas de nécessités organisationnelles manifestes, situer le travail au domicile du salarié dépasse ces prévisions ».

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